Projet Léonard - Acquisition du langage et grammaticalisationProjet Léonard - Acquisition du langage et grammaticalisation

Le pointage2

Dernière mise à jour le : 21 décembre 2008.

Certains gestes conventionnels apparaissent très tôt chez l’enfant, notamment le pointage observable avant l’âge de douze mois, peu de temps avant les premiers mots. Selon Cabrejo Parra (1992), ce geste représente une condition nécessaire à la construction du langage car il donne à l’enfant la possibilité de désigner un objet en tant que lieu d’attention partagée et d’échange avec l’adulte. L’objet montré prend un statut particulier puisque le geste de pointage accompagné du regard le distingue de son environnement (Bruner 1983). L’enfant réalise ainsi une première opération de symbolisation dans un « meeting of minds » (Tomasello 1999) avec l’adulte. Pour Clark (1978), les déictiques verbaux employés plus tard par l’enfant sont en continuité naturelle avec le pointage. Elle montre comment l’enfant passe de l’un à l’autre en plusieurs étapes :

(PNG)

1. Pointage sur l’objet

2. Pointage sur l’objet + déictique verbal

3. Pointage sur l’objet + déictique verbal + nom de l’objet

4. Deictique verbal + nom de l’objet

Le passage de la communication pré-linguistique à la communication linguistique se ferait ainsi sans heurt ni difficulté.

Selon cette perspective, le pointage correspondrait à un mécanisme de transition au cours de l’acquisition du langage qui favoriserait en particulier l’accès à la combinatoire (Bates et al. 1977). On observe cependant que la communication gestuelle ne disparaît pas totalement avec l’apparition du langage (Marcos 1998). Elle est même largement utilisée par les adultes en complémentarité avec les productions verbales (Guidetti 1998). Peut-on donc parler de substitution d’un système à l’autre ? Y aurait-il une continuité développementale en lien avec la continuité phylogénétique déjà présumée par Condillac entre le pointage et les premières productions linguistiques comme les démonstratifs (ça, là, c’est) ? Les modalités gestuelle et verbale manifestent-elles les mêmes pré-requis linguistiques ?

Bellugi & Klima (1981) et Petitto (1984, 1986) mettent en cause l’idée d’une continuité entre pointage et langage en s’appuyant sur les inversions pronominales des enfants sourds signeurs : ces derniers distingueraient les gestes pré-linguistiques des signes, même s’ils ont la même forme, en raison de la complexité du système linguistique. Nous avons voulu explorer cette problématique de (dis)continuité entre gestes et mots grâce à l’analyse de données issues de plusieurs suivis longitudinaux d’enfants francophones âgés de 8 mois à 3 ans filmés à domicile avec leurs parents. Un premier travail sur corpus montre que les pointages sont d’emblée accompagnés de vocalisations : le gestuel et le verbal sont donc associés et complémentaires. Un relevé de tous les pointages et de tous les démonstratifs nous permettra d’analyser leurs fonctions en contexte.

Traditionnellement, les chercheurs attribuent deux fonctions au pointage (Guidetti 2003) : il peut être directif (demander un objet convoité) ou assertif (établir l’attention conjointe). Dans notre travail, nous revoyons de près cette première catégorisation et la mettons en lien avec les fonctions des premiers démonstratifs grâce à un examen minutieux des productions des enfants en situation. Nous essaiyons ainsi de déterminer si les mêmes catégories peuvent être utilisées pour décrire les deux modalités, si elles fonctionnent de manière analogique ou s’il existe entre elles une différence essentielle d’ordre cognitif qui contribue à leur complémentarité.

Références

Bates L. et al. (1977), From gesture to the first word : on cognitive and social prerequisites. In Lewis M. et Rosenblum L. (eds), Interaction, conversation and the development of language. New-York : Wiley, 247-307.

Bellugi U. & Klima E. (1981), "From gesture to sign : Deixis in a visual-gestural language". In R.J. Jarvella and W. Klein (Eds.) Speech, place and action : Studies of languages in context. Chichester : John Wiley & Sons.

Bruner J. (1983), Child Talk :learning to use language, New York : Norton.

Cabrejo-Parra E. (1992), Deixis et opérations symboliques, in L. Danon-Boileau & M.-A. Morel eds, La Deixis, Paris : P.U.F.

Guidetti M. (1998), Les usages des gestes conventionnels chez les enfants, in Josie Bernicot et al., De l’usage des gestes et des mots chez l’enfant, Paris : Armand Colin, 27-50.

Guidetti M. (2003), Pragmatique et psychologie du développement, Paris : Belin. Marcos H. (1998), De la communication prélinguistique au langage : formes et fonction, Paris : L’Harmattan.

Petitto L.A. (1984), From gesture to symbol : The relationship between form and meaning in the acquisition of personal pronouns in American Sign Language. Unpublished dissertation. Harvard University.

Petitto L.A. (1986), From gesture to symbol : the relationship between form and meaning in the acquisition of personal pronouns, in American Sign Language. Bloomington, Indiana : Indiana University Linguistics.

Tomasello M. (1999) The cultural origins of human cognition, Cambridge, MA : Harvard University Press.

 

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