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Le journal de Jean Heroard

Par Aliyah Morgenstern . Dernière mise à jour le : 28 juin 2007.

Né en 1551, Héroard avait cinquante ans à la naissance de Louis. Il tint un journal quotidien de son développement de la naissance jusqu’à l’âge de 26 ans (le journal se termine en raison de la mort de Héroard en 1628).

Ce journal contient des milliers d’entrées sur la vie quotidienne du dauphin, son réveil, ses repas, ses jeux, son coucher, ses humeurs, ses bagarres ... Les commentaires à la fois sur le langage de Louis et sur le langage qui lui était adressé sont assez détaillés et comportent notamment des transcriptions de ses « erreurs » au niveau phonologique, morphologique et syntaxique.

Il s’agit d’un trésor inestimable à la fois pour les études sur le français du début du dix-septième siècle, pour la linguistique historique et pour l’acquisition du langage. Il est même possible de comparer l’acquisition du français contemporain, à l’acquisition du français classique (Ingram & le Normand 1996). Malheureusement, les données sur les deux premières années ne sont pas très abondantes. On trouve cependant un exemple d’énoncé à la première personne à l’âge de 2 ;4 dans l’extrait suivant :

16 février, 1604 (Age 2 ;4) Esveillé a sept heures et demie, levé ; bon visage. A unze heure, disné ; A trois heures, gousté. Il fait tirer le Capitaine Richard de sa harquebuse tue un pigeon, il dit « A diré (je le dirai) a papa ». Mr de Mansan ayant cela dit que doresnavant il ne faloit faire devant luy, at qu’il diroit tou, at qu’il escoutoit tou sans faire semblant de rien. En se souriant il se prend a dire en chantant « je tui (suis) bon bon gachon (garçon) je ne pante a nu ma » (je ne pense a nul mal).

Nous avons ici des exemples de simplifications phonologiques (gachon pour garçon et tui pour suis), qui nous montrent la précision avec laquelle les notes étaient prises avec une transcription « semi-phonétique ». Ernst (1989 ) qui a fait une description générale du journal, rapporte que l’enfant « supprime » les sujets à la troisième et à la première personne : « veu pas dire » (11 octobre 1605) ou « scay pas » (18 février 1607). Contrairement à un trait qui pourrait être rapproché de l’ancien français, cette omission du sujet n’est pas présente dans le langage qui est adressé à l’enfant dans lequel le sujet semble obligatoire. L’étude de Ingram et Le Normand (op. cit.) conclue d’ailleurs à de fortes similitudes entre le français noté chez l’adulte dans le journal et le français moderne avec des traits comme l’inversion dans les questions et les marques de négation. Ernst attribue donc cette omission à la grammaire spécifique de l’enfant. Il ne fait pas d’analyse quantitative et ne compare pas les contextes de productions. Il est possible que les entrées du journal soient insuffisantes pour pousser plus loin l’analyse sur l’omission du pronom sujet chez Louis. Ce journal et les commentaires de Ernst (op.cit) livrent cependant une piste de travail intéressante, qui sera ensuite évidemment reprise par les chercheurs qui ont travaillé sur l’acquisition des pronoms chez l’enfant.

Le journal de Héroard est très précieux, car il s’agit de l’un des plus anciens témoignages au jour le jour sur le développement d’un enfant. Il a donc intéressé des historiens, des psychologues et des linguistes qui ont pu utiliser les énoncés semi-phonétiques notés pas Héroard. Mais le médecin du dauphin n’avait cependant pas pour préoccupation centrale le développement cognitif et linguistique de l’enfant. Il s’agit par ailleurs d’un travail isolé : on ne connaît aucun autre journal de ce type écrit à la même époque.

Références

Nouvelle édition avec commentaires de ce journal : Foisil, Madeleine (Ed.) 1989. Journal de Jean Héroard. Publication du centre de recherche sur la civilisation de l’Europe moderne, 2 volumes, Paris, Fayard (Vol 1, 1601-1608 ; vol 2, 1609-1628)

Ernst, G. (1985) Gesprochenes Franzoesisch zu Beginn des 17 Jahrhunderts, Direkte Rede in Jean Héroard "Histoire particulière de Louis XIII" (1601-1610), Tubingen, Max Niemeyer Verlag, X-623pp.

Gougenheim, H (1931) L’observation du langage d’un enfant royal au XVIIe siècle. Revue de philologie française et romane, 43, 1-15.

Ingram, D. & Le Normand, M-T. (1996). A diary study on the acquisition of Middle French : A preliminary report of the early language acquisition of Louis XIII. Proceedings of the 20th annual Boston University conference on language development, 352-63. (Télécharger l’article)

 

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